Kinshasa Avril 2002 

Le Concept de participation démocratique en milieu scolaire : réalités Sénégalaises et Africaines

Introduction :

Ce n’est pas exagéré de dire que depuis quelques années souffle en Afrique un vent de démocratie même s’il y’a quelques reculs ça et là .Et cela s’est traduit par le foisonnement de partis politiques, d’associations, d’ONG qui participent tous à la citoyenneté démocratique.

Ce qui est frappant cependant , c’est comme si l’école est en déphasage avec la société, elle est en reste, et ne participe pas à ce bouillonnement démocratique ; Or l’école qui est une institution de la société si elle veut mener à bien sa mission que lui assigne la société, doit être démocratique, socialiser (former un être social, sociable et un citoyen).Elle devrait être un laboratoire d’idées, avoir au moins une longueur d’avance sur la société et lui imprimer un changement.

Cette mission de socialisation de l’école passe inévitablement par la pratique de la participation de tous les acteurs de l’éducation à quelque niveau qu’ils se situent à l’acte éducatif, y compris les parents d’élèves et c’est un truisme de dire que la participation est au cœur de l’éducation à la citoyenneté. De plus les objectifs de l’éducation que sont l’épanouissement de la personnalité humaine et le respect de droits de l’homme (article 26 de la DUDH et l’article 28 de la CIDE )ne sauraient être atteints sans la participation de ceux là mêmes à qui l’éducation est destinée.

Mais que recouvre le concept de participation en milieu scolaire ?

Quelle est la réalité de cette participation au Sénégal et en Afrique ? En d’autres termes comment se manifeste-elle ? Quelles sont les limites de cette participation ? quelles compétences doit —elle mettre en œuvre ?

I/ Le concept de participation démocratique en milieu scolaire :

Nous, nous souvenons tous avoir appris par cœur, souvent sans rien comprendre, nous avons obéis tous à des règles, à des règlements intérieurs élaborés ailleurs sans nous, par d’autres, le maître, le directeur ou le Ministère ( ce qui est encore vrai) ; ils ont souvent ont pris des décisions à notre place en classe, à l’école sans nous consulter. Et aujourd’hui parce qu’on a décidé à notre place, on a fait sans nous parce que simplement nous n’avons pas participé à l’acte éducatif ou " pas mis la main à la pâte ", il nous manque beaucoup de compétences procédurales. La participation est essentielle et comme dit l’adage " c’est en faisant que je comprend mieux et que je me réalise ".

De plus, même si en Afrique nous donnons la primauté au groupe, non sans valoriser l’individu, même si le respect que l’enfant doit à l’adulte est unilatéral il faut reconnaître que l’enfant a sa place dans le groupe, il participe dans sa communauté. Des dictons, proverbes montrent que l’enfant participe aux décisions :exemple : " un enfant qui a les mains propres s’assied à la table des adultes ", "  la vérité est comme une aiguille perdue dans une meule de foins, un adulte peut la retrouver comme un enfant ".

Le congrès de Montréal sur l’éducation aux droits humains et à la démocratie, organisé par l’UNESCO du 8 au 11 mars affirmait dans son plan d’action  que le processus éducatif devrait être en soi démocratique et axé sur la participation, l’apprentissage est un processus axé sur la participation.

D’ailleurs comment est-il possible de former des personnalités autonomes dans le domaine moral si par ailleurs l’individu est soumis à une contrainte intellectuelle telle qu’il doive se borner à apprendre sur commande sans découvrir par lui-même. La participation est au cœur du processus éducatif, dans toutes les activités d’enseignement apprentissage, en classe, dans les activités para et périscolaires, dans les structures mises en place à l’école. Elle est donc fondamentale pour développer l’autonomie de l’élève et le respect des droits de l’homme.

Le concept de participation démocratique en milieu scolaire peut-être définie comme un pouvoir reposant sur la possibilité de prendre part au processus de prise de décision, de participer aux structures mises en place à l’école(l’association des parents d’élèves et les associations d’élèves, coopératives, le foyer et les clubs etc), d’accepter les responsabilités, de les assumer. Ainsi il concerne le droit de s’exprimer sur les affaires de l’école, sa gestion, à travers tous les canaux possibles( journal, affichage, dans les réunions etc..), de coopérer, de prendre position et d’agir. C’est la démocratie participative qui associe les élèves à la prise de décisions et à la gestion de l’école, mais aussi les parents , les autres partenaires, comme les associations de quartier, les ONG dans le cadre de la cellule école milieu, structure plus large englobant les acteurs de l’éducation et les partenaires.

Les parents qui jouent un rôle de premier plan dans l ‘éducation des enfants, la famille étant la première cellule d’éducation doivent participer en encourageant les enfants à apprendre, s’intéresser à la vie de l’école, participer aux réunions, en prenant des décisions, en prenant position, en coopérant avec les autres partenaires comme les enseignants et les membres de l’administration.

La participation à la vie de l’école s’inscrit dans le cadre de la démocratisation de la vie scolaire qui se concrétise entre autres dans la cogestion de la classe entre et de l’école (entre maître et élèves), dans l’ouverture à la diversité des façons d’être et de penser.

Cette démocratisation doit donc être fondée sur le pluralisme, la coopération et le respect des droits de l’autre dans le quotidien. L’école en conséquence doit s’ouvrir à tous, handicapés, réfugiés, déplacés ( c’est à dire être intégratrice), aux différentes idées, aux diverses cultures.

Il s’agit pour l’école et pour chaque classe de créer un environnement où les adultes et les jeunes peuvent cheminer ensemble et s’aider mutuellement à exercer leurs droits respectifs tout en assumant les responsabilités qui en découlent.

En définitive, la participation signifie davantage qu’une simple implication dans la prise de décision. C’est un modèle de vie démocratique fondé sur un équilibre entre les droits et les responsabilités entre acteurs de l’éducation : élèves , professeurs, parents d’élèves, membres de l’administration.

Quel est le cadre qui organise cette participation et quelles sont les structures mises en place ?

II/ Le cadre et structures de participation mises en place

La participation des acteurs de l’éducation au processus éducatif en milieu scolaire a été évoquée par des textes, lois d’orientation et autres conventions ratifiées par le Sénégal :

En effet, la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 en son article premier alinéa 2 dispose : " l ‘éducation nationale tend à promouvoir les valeurs dans lesquelles la nation se reconnaît : elle est éducation pour la liberté, la démocratie pluraliste et le respect des droits de l’homme, développant le sens moral et civique de ceux qu’elle forme, elle vise à en faire des hommes et des femmes dévoués au bien commun, respectueux des lois et des règles de la vie sociale et œuvrant à les améliorer dans le sens de la justice, de l’équité et du respect mutuel. ". Cette disposition est on ne peut plus clair sur la participation des élèves au processus éducatif, à leur propre formation, car comment former des citoyens à l’autonomie, au respect des droits de l’homme, des lois et règles de vie sans leur participation ?

La convention internationale relative aux droits de l’enfant exprime ce droit à la participation dans ses articles 12, 13, 15, 16, 17 qui correspondent respectivement à la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté d’association, la protection de la vie privée, le droit à l’information.

Des textes officiels sur la coopérative scolaire, sur le foyer socio-éducatif et les autres structures évoquent cette participation.

Pour les parents d’élèves, qui forment l’association des parents d’élèves, leur participation est aussi régie par un texte notamment la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 qui précise que ce sont des partenaires de l’école.

La reconnaissance de cette participation du moins en théorie s’est traduite par la mise en place de certaine structures de participation.

La participation des élèves ne doit pas seulement se limiter à la classe. Ils doivent participer à toutes les structures mises en place citées ci-dessus. L’organisation scolaire doit être centrée sur l’enfant et basée sur la collaboration et la coopération entre tous les acteurs de l’éducation.

-le projet d’établissement : un cadre qui énonce clairement ce que l’école vise pour atteindre ses objectifs éducatifs (les valeurs que l’on veut poursuivre à l’école) et pédagogique (la conception de l’apprentissage, comment on guide les élèves dans leur apprentissage, les méthodes, c’est ce qui permet de mettre en œuvre le projet éducatif). Tous les projets de l’école y sont inscrits (formation, partenariats, jumelages etc)

-le règlement intérieur : Il règle les modalités quotidiennes du vivre ensemble. Il est affiché dans tous les établissements avec ses imperfections notoires.

-le foyer socio-éducatif : Il comprend l’ensemble des élève de l’établissement. Il est dirigé par un bureau élu au sein des délégués de classe. Les clubs (Unesco, droits humains, EIP etc..)qui constituent ses démembrements organisent des conférences, des ateliers etc. Mais c’est dans le foyer aussi que se préparent les grèves.

-le conseil d’élèves : Il est constitué de l’ensemble des délégués de classe. Il élit en son sein le bureau du foyer socio-éducatif.

-Le journal scolaire : Il doit permettre aux élèves d’exercer leur droit à l’expression et consacrer l’ouverture de l’école sur l’extérieur.

-Le conseil de gestion : il regroupe les membres de l ‘administration, les parents d’élèves, les enseignants, le représentant des élèves , le représentant du conseil régional, le représentant du trésor, le maire; Il doit se prononcer sur certaines questions de l’école et doit résoudre des conflits.

-la coopérative scolaire : dans les écoles primaires, la coopérative est une structure de gestion des activités de l’école. Elle doit les initier à l’exercice de la démocratie, de la citoyenneté et permettre la réalisation du projet d’école. Ses instances sont l’Assemblée générale, le conseil de tutelle, le conseil d’administration, le bureau et les commissions spécialisées.

-l’association des parents d ‘élèves : elle est constituée par l’ensemble des parents des élèves, qui forment une assemblée générale qui élit en son sein un bureau.

L’association des parents d’élèves, le conseil des maîtres, la coopérative scolaire, les autres partenaires de l’école comme les ONG forment la cellule école milieu qui se réunit pour examiner les grandes questions qui se posent à l école, violence, discipline, ses projets etc.

Toutes ces structures permettent en théorie une participation effective des acteurs de l’éducation au processus éducatif, mais quelles sont les réalités de cette participation en milieu scolaire ?

III/Les limites de cette participation ou les réalités de la participation démocratique en milieu scolaire:

Si les textes et les structures existent, la participation effective est tout autre. Dans certaines écoles , elle est pure parodie, car les chefs d’établissement se comportent en vrais despotes, faisant fi des textes qui d’ailleurs sont caractérisés par des insuffisances notoires.

D’abord le règlement intérieur : il est imposé par le Ministère de l’éducation nationale. Au Sénégal , il y’a un modèle standard qui est distribué dans chaque école et les élèves et maîtres sont tenus de le respecter à la lettre.

Ni les élèves , ni les enseignants ne participent à son élaboration, ils ne peuvent pas l’amender non plus. Le règlements intérieur est toujours associé à d’une attitude négative ou punitive et n’exprime que les devoirs de l’élèves et de l’enseignant. Il est donc courant de lire des articles comme ceux là dans les règlements intérieurs :

-Tout retard de 5 mn non justifié entraîne une sanction

-Une fois en classe , les élèves ne doivent en sortir que sur l ‘autorisation du professeur ou du surveillant.

-les élèves doivent se montrer déférents , obéissants et travailleurs

-Il est formellement interdit d’entrer dans la salle des professeurs pour quelque raison que ce soit

-l’autorité du professeur est totale et souveraine dans la classe

-les élèves doivent s’habiller correctement et décemment pour aller en classe

etc..

Ces extraits de règlements intérieurs n’indiquent que des devoirs de l’élève. Et parce qu’ils ne sont pas le fruit de concertation entre les partenaires de l’école, les conflits naissent entre les partenaires de l’école, conflits souvent résolus par la violence. Des conflits entre élèves et enseignants, entre élèves et membres de l’administration etc..

Exemples :

-Un paysan qui interrompt le cours d’un maître pour obliger son fils à le suivre dans les champs. Il clame qu’il a besoin de bras Le maître et le directeur s’interposent.

-Une étudiante de confession musulmane quitte régulièrement les cours pour effectuer ses prières . L’école Sénégalaise est pourtant laïque. Les enseignants se réunissent pour étudier son cas.

-Un père fit irruption dans une salle de classe et oblige sa fille à rejoindre le domicile conjugal. Elle avait été mariée un an plus tôt

-Le principal d’un collège interdit l’ouverture du foyer socio-éducatif car dit-il c’est dans cette structure que se préparent les grèves.

-Le principal d’un collège fouille systématiquement les correspondances des élèves et confisque les objets de valeur venant de l’étranger. Il prétend que les élèves demandent de l’argent à leurs correspondants, ce qui risquent de ternir l’image de marque de l’établissement ; les élèves se mettent en grève.

-Dans le journal d’une école de formation d’instituteurs, un étudiant écrit un article qui critique la didactique du Français telle que donnée par un formateur ; l’article est sanctionné et l’élève renvoyé. Les élèves se mettent en grève.

-Dans un collège le principal a désigné le meilleur élève de l’établissement comme le président du foyer socio- éducatif. Les élèves se sont mis aussitôt en grève estimant que le président du foyer doit être élu démocratiquement.

-Dans une école primaire, un élève a été battu et renvoyé parce qu’il n’a pas donné sa cotisation à la coopérative scolaire.

Selon la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991 "  L’éducation nationale est démocratique, elle donne à tous de chances égales de réussite. Elle s’inspire du droit reconnu à tout être humain de recevoir l’instruction et la formation correspondant à ses aptitudes, sans discrimination de sexe, d’origine sociale, de race, d’ethnie, de religion ou de nationalité. " . Pourtant la discrimination dont sont victimes certains élèves comme, les élèves handicapés , les élèves obèses, les filles est une aussi une autre entrave à la participation de tous aux activités de l’école ; en effet ils sont souvent exclus de fait de certaines activités de l’école.

Le sort qui est réservé aux enfants réfugiés, déplacés , aux enfants soldats (kadogos en RDC) n’est pas souvent enviable dans nos pays ; ils sont laissés à eux-mêmes, pas d’écoles dans les camps et quand ils vont dans les écoles normales les problèmes psychologiques, le manque de matériels scolaires les empêchent de suivre correctement les cours. Quel sort est réservé aux enfants de la rue, les talibés (enfants mendiants de l’école coraniques)  aux Sénégal , les enfants sorciers au RDC ?

Beaucoup d’établissements fonctionnent sur le principe monarchique :

-le directeur prend des décisions concernant les élèves sans les consulter ; Par exemple on impose une cotisation aux élèves pour l’accès à la salle informatique.

-Il arrive que le foyer socio-éducatif ne fonctionne pas dans certains établissements. Quand il fonctionne les élections sont bâclées, le principal ou le proviseur impose leurs hommes.

Les journaux sont rares dans les établissements. S’ils existent ils sont censurés, les élèves ne sont pas autorisés à s’exprimer sur toutes les questions scolaires notamment la pédagogie. Les affichages à l’école sont réglementées.

La coopérative scolaire dans plusieurs écoles primaires est une structure fantôme. Les élèves sont manipulés. Ce sont les maîtres qui font tout le travail, et les élèves sont utilisés comme décoration.

L’association des parents d’élèves est un partenaire de l’école mais elle est rarement consultée pour tout ce qui touche l’enseignement, l’élaboration du règlement intérieur. Elle est utilisée dans certains établissement pour jouer les rôles de médiateurs quand il y’a conflits ou quand l’école est confrontée à des problèmes financiers insolubles. Les conflits éclatent souvent entre acteurs de l’éducation, car le règlement intérieur n’est pas négocié.

Conclusion :

La participation démocratique à l’école participe de l’éducation à la citoyenneté démocratique  des élèves . Elle est en ce sens fondamentale à l’école. Cependant il y’a un grand fossé entre les dispositions des textes et la pratique. L’école doit créer le cadre participation démocratique de tous les acteurs de l’éducation au projet d’établissement. Pour cela elle doit être non seulement un espace où se vit la démocratie mais où l’on apprend à élaborer les règles du vivre ensemble avec des cultures différentes . Pour cela l’école doit développer certaines compétences :

-prévenir et gérer les conflits

-accepter les différences

-promouvoir la coopération

-promouvoir la participation des élèves à l’élaboration des règles de vie

-promouvoir la réalisation de projets citoyens(solidarité en direction des populations les plus démunies, intégrer les enfants de la rue à l’école, les enfants soldats, protection de l’environnement

-créer les lieux de paroles, encourager la prise de parole

etc..

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