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L'histoire tronquée
Lettre n°22, avril 2005

 

Manuel

Des relations diplomatiques tendues marquèrent récemment les rapports sino-japonais au sujet de la révision par le Japon du contenu de manuels scolaires de sciences sociales destinés aux lycéens de ce pays. Dans ces manuels, le massacre de la population civile à Nankin, en 1937, par l’armée d’occupation nipponne est qualifié d'« incident » ; le terme d'« invasion » n'est jamais mentionné lorsqu'il est fait état de la « guerre de la Grande Asie » que mena le Japon à partir des années 1930, nous rapporte le quotidien Le Monde (1).

 

Ce récent exercice de dissimulation n’est pas un cas isolé monté en tête d’épingle par quelques journaux en quête de tirage. Il illustre, au contraire, la prise en otage récurrente de la vérité au service de socialisation nationaliste sur fond d’endoctrinement. L’idée, chère à Kant, d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique continue de se heurter, pour paraphraser le philosophe, à l’emprise des fins particulières conformes aux désirs personnels de leurs auteurs, et souvent au préjudice d’autrui.

 

Dans cette perspective, l’enseignement de l’histoire obéit à une demande politique et sociale : « Les sociétés attendent principalement de la connaissance du passé qu’elle les instruise sur leur propre histoire, qu’elle fortifie le sentiment de leur originalité, quand elles ne demandent pas à l’historien de la créer de toutes pièces en entretenant des mythes fondateurs (2) ».

 

Mais « Tout individu a le droit de connaître son passé ainsi que le droit de le désavouer » affirme l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (3) en ajoutant que les citoyens ont le droit d'apprendre une histoire non manipulée et que l'État devrait donc assurer ce droit et encourager une approche scientifique appropriée, sans déformation religieuse ou politique, de tout ce qui est enseigné.

 

Ne peut-on pas attribuer, du moins en partie, à l’ethnocentrisme élevé à son paroxysme les échecs successifs de la paix  ? Le fait que des manuels scolaires contiennent encore des présentations biaisées de crimes contre l’humanité, écrit Fernando Reimers, nous rappelle éloquemment combien il nous reste à faire pour permettre à l’UNESCO de remplir dans toutes ses dimensions la mission énoncée dans les premières lignes de son Acte constitutif : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix » (4).

 

Illustration : « La version commerciale diffusée à 700.000 exemplaires du manuel négationniste. On peut lire, en bas: "Nous voulons être jugés par la Nation" ». tiré du site amnistia.net

http://www.amnistia.net/news/articles/negdoss/japnega/japmanu.htm

 

NOTES

 

(1) Le Monde. « Des manuels scolaires japonais scandalisent la région ». 6 avril 2005.

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3210,36-635878@51-633376,0.html

 

(2) Bureau international d’éducation (1999). «Apprendre à vivre ensemble grâce à l’enseignement de l’histoire et de la géographie». Rapport final du colloque. http://www.ibe.unesco.org/International/Publications/ FreePublications/andre.htm

 

(3)Recommandation 1283 de 1996 relative à l’histoire et à l’apprentissage de l’histoire en Europe. http://eurochild.gla.ac.uk/francais/CoE/Recommandations /CoE_Rec1283(FR).htm

 

(4)« Guerre, éducation et paix ». Perspectives, XXXIII. BIE, mars 2003. http://www.ibe.unesco.org/International/Publications/
Prospects/ ProspectsTablesOfContent/pr125tcf.htm

 

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