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Éducation aux droits et politiques éducatives
Lettre n°11, janvier 2004

 

Depuis une bonne dizaine d’années déjà plusieurs États s’inscrivent dans un nouveau round  de réforme de leurs systèmes éducatifs ; ce fait est particulièrement avéré pour ce qui concerne les pays membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) . Dans la mouvance de cet exercice devenu récurrent, l’EIP continue de presser les États pour que ces derniers intègrent l’éducation aux droits de l’Homme dans les orientations générales de leurs politiques éducatives et dans les contenus de formation. Ce faisant, nous poursuivons l’atteinte d’un des objectifs à l’origine même de la création de l’EIP, en 1967. Mais nous savons aussi d’expérience qu’il s’agit là d’un travail de longue haleine qui n’a pas produit à ce jour tous les résultats escomptés.

 

Peu de gouvernements, dans les faits, ont donné suite concrètement à notre invitation ou à celle de l’ONU d’ailleurs dont la Décennie sur l’éducation aux droits de l’homme s’achève cette année. Il semble bien, aux yeux des États, que cette éducation ne fait pas partie des «dossiers prioritaires», sommes-nous du moins tenus de conclure pour l’instant.

 

On peut comprendre, à grand regret, que les pays connus pour ne pas respecter les droits ou qui imposent tacitement par le biais de leur Constitution même des restrictions à l’exercice de ceux-ci ne soient pas enthousiastes à l’idée de promouvoir l’éducation aux droits de l’Homme. Il faut continuer de dénoncer leurs pratiques et soutenir les militants qui, parfois, au risque de leur sécurité physique, continuent de réclamer la démocratie dans leur pays.

 

Dans les pays que l’on qualifie de démocratiques, l’éducation aux droits ne passe cependant pas comme une lettre à la poste. À proprement parler, il n’y a pas de tradition très ancrée dans ce domaine. La tendance actuelle penche plutôt vers des interventions éducatives visant à réguler les rapports sociaux par le truchement d’une éducation à la citoyenneté qui pourrait servir de canal à l’apprentissage des règles, des valeurs et des comportements sociaux dont l’établissement scolaire se ferait le relais. Ne préjugeons pas d’une telle éducation a priori car elle paraît répondre au besoin d’un apprentissage du vivre ensemble dans des contextes où, en particulier, les actes d’incivilités et de violence à l’école nous interpellent tous.

 

Mais il y a à notre avis d’autres raisons qui tiennent moins de la conjoncture et qui peuvent expliquer le fait que l’éducation aux droits en tant que telle reste peu présente dans la formation scolaire. Nombre de politiques éducatives, aussi bien intentionnées soient-elles en matière d’amélioration de la qualité de l’enseignement, de lutte contre les inégalités socio-scolaires ou d’aide aux enfants en difficultés, par exemple, ne sont pas conçues par les réformateurs pour développer une culture politique des apprenants. Elles visent d’abord et avant tout à la maîtrise d’un certain nombre de savoirs et de compétences qui permettront aux élèves de bien s’intégrer plus tard une fois rendus sur le marché du travail, de participer à la croissance collective, d’agir en bon citoyen et en consommateur averti.  Ce portait, aux traits quelque peu idylliques, est un projet de société défini par le rendement, la rentabilité, la conformité aux règles et le pouvoir d’achat. Or, dans son économie même, du moins de la façon dont nous la comprenons, l’éducation aux droits de l’Homme invite à porter un diagnostic sur la situation des droits dans un environnement donné ; les contradictions que cet état des lieux peut soulever est susceptible de mettre précisément en question certaines valeurs dominantes de nos sociétés. En une époque de célébration des valeurs néo-libérales, on peut en effet comprendre combien délicat il peut être pour des décideurs d’avaliser une démarche éducative qui inviterait à mettre à l’étude les effets négatifs d’une telle vision du monde sur les droits d’une majorité privée du pactole annoncé.

 

Mais si tant est que l’on continue de penser que l’École – au sens large du terme – demeure à ce jour le plus important levier de transformation sociale que nous possédions; si tant est que l’on pense également que les droits ont été proclamés par la communauté internationale pour participer d’une telle transformation, convenons que les politiques éducatives, en tant qu’expression de la voix d’un État membre de cette même communauté, devraient être une porte d’entrée légitime de l’éducation aux droits de la personne. C’est ce à quoi en toute logique nous devons prétendre.

 

 

Illustration : Dessin, tiré du site Yanous ! Focus handicap

http://www.yanous.com/news/focus/focus091106.html

 

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